Dans notre démocratie directe, nous parlons, argumentons et négocions en permanence. Entre les parties, entre les autorités et entre les habitantes et habitants du pays. Mais bien que nous ayons une culture du débat aussi active, des fossés se creusent entre les générations et la polarisation augmente. Le simple fait de se parler ne semble pas suffisant à lui seul pour jeter des ponts sociaux et politiques. Nous avons donc besoin de formes d’échange qui nous aident à accepter nos différences et à mieux comprendre pourquoi les autres pensent comme ils pensent. C’est particulièrement important lorsque nous avons des conceptions fondamentalement différentes de la politique et de la cohabitation. Ce n’est qu’avec une meilleure compréhension mutuelle que nous pourrons cohabiter pacifiquement et construire ensemble notre avenir dans notre société plurielle et démocratique.
Chez Pro Futuris, nous nous demandons quelle forme de discussion peut nous rapprocher en tant que société et contrecarrer la polarisation croissante. Nous avons trouvé l’inspiration dans le «dialogue médiatif».
L’objectif d’un dialogue est que chacun·e comprenne mieux les autres et que les autres se sentent compris.
Contrairement au débat classique, le dialogue médiatif ne vise ni à juger les autres, ni à les convaincre, ni à les soumettre dans le cadre d’une confrontation. L’objectif n’est pas non plus de trouver une solution à un problème commun et de négocier un compromis. Dans les dialogues médiatifs, il s’agit de trouver ce petit moment doré où nous abandonnons nos positions un instant et nous concentrons sur la manière dont notre opinion, et celle de notre interlocuteur, se sont formées.
Dans le dialogue médiatif, nous opérons un décalage léger, mais subtil, de la question du quoi (tu en penses quoi?) vers celle du pourquoi (pourquoi en es-tu arrivé·e à cette opinion?). Nous nous abstenons de juger et essayons d’écouter sans porter de jugement (et qu’entends-tu exactement par là?). Nous osons passer d’un niveau purement objectif à un niveau plus personnel (où as-tu vécu cela?). Nous abandonnons même pour un instant notre profond besoin d’avoir raison – un défi.

Cette plongée dans le monde d’en dessous (voir photo de l’iceberg), ce pas dans l’espace libre de tout jugement de valeur, demandent du courage et du temps. C’est toujours une démarche téméraire. Mais il s’agit d’un instrument précieux que nous devrions emporter dans notre boîte à outils pour bien cohabiter au sein de la démocratie. En effet, en nous penchant non seulement sur les positions des autres, mais aussi sur les causes de leurs attitudes, nous pouvons élargir notre perspective et générer une meilleure compréhension des autres points de vue.
Une meilleure compréhension mutuelle nous permet d’apaiser les débats trop chargés d’émotions, d’améliorer les relations conflictuelles et de rétablir la confiance. Un dialogue réussi peut éviter que des images hostiles ne se développent, que différents groupes se couvrent d’accusations et de stéréotypes et que les conflits ne finissent par dégénérer. C’est essentiel dans une démocratie de concordance qui veut impliquer le plus grand nombre possible d’actrices et d’acteurs dans le processus politique et prendre des décisions consensuelles.
Parce qu’il instaure la confiance et la compréhension mutuelle, le dialogue peut nous aider, en tant que société démocratique, à aborder nos différences de manière plus constructive, à devenir plus intelligents ensemble et à développer des solutions plus durables et plus inclusives. Un véritable dialogue ne demande donc pas seulement du courage, il est également essentiel pour que nous puissions nous entendre dans une démocratie.

Nous avons dérivé le concept de la journée de dialogue à partir de la méthode médiative, et avons pu l’organiser en deux sessions, à Bâle le 3 juin avec Bajour, et à Berne le 10 juin avec la Maison des générations de Berne. D’une durée de trois heures environ, les manifestations ont débuté par une introduction aux principes de base du dialogue médiatif. Nous avons alors posé une question d’actualité, la plus polarisante possible, telle que: faut-il introduire un «héritage pour tous»? La police agit-elle de manière proportionnée lors de manifestations? Faut-il rendre obligatoire l’utilisation d’un langage non sexiste dans la communication des autorités? Ou faut-il que les grandes entreprises soient plus fortement imposées? Les participantes et participants se sont ensuite positionnés quant à cette question d’actualité sur un baromètre d’opinion en se plaçant quelque part entre «Oui, absolument» et «Non, pas du tout».

Cette répartition de l’espace a permis de former des binômes avec des opinions aussi différentes que possible, c’est-à-dire aussi éloignées que possible sur le baromètre. Ces couples nouvellement formés sont ensuite entrés en conversation, le principe étant de se concentrer sur l’écoute active de l’autre, de lui poser des questions pour clarifier sa position, et, en dépit des divergences d’opinions, de ne pas tomber dans le biais de «vouloir avoir raison».
Lors des journées de dialogue, nous avons ainsi créé un espace où des personnes aux avis divergents se rencontrent et mènent sur des thèmes brûlants une discussion encadrée. Des personnes venues des quatre coins de Bâle et de Berne se sont réunies – des élèves, des seniors, des employé·e·s et des bénévoles. Des personnes qui ont toujours vécu en ville et d’autres qui y habitent depuis peu. L’apéritif qui a suivi au soleil couchant sur la terrasse du Rhin et dans la cour intérieure de la Maison des générations a offert le cadre idéal pour clore les discussions animées dans une ambiance conviviale. Nombreux sont celles et ceux qui ont profité encore de quelques heures de partage et d’échange d’idées sur la manière dont nous pouvons, en tant que société, faire face aux clivages existants et futurs.

«J’étais beaucoup moins émotif que lors d’autres discussions, bien que le thème me concerne beaucoup, et j’ai pu me concentrer sur le contenu.» (Déclaration lors de la séance de feed-back)
Les deux fois, nous avons pu travailler avec un groupe hétérogène, tant en termes d’âge que d’attitude. Les personnes participantes ont particulièrement apprécié les échanges intergénérationnels, la vivacité des discussions, la combinaison de connaissances spécialisées et d’expériences pratiques, ainsi que les séances de feed-back au cours desquelles elles ont pu exprimer leurs préoccupations en lien avec des situations conflictuelles et apprendre les unes des autres. Elles ont déclaré avoir trouvé cette expérience utile pour leur quotidien et souligné que cette forme de rencontre permettait une profondeur qui leur manque dans le discours social et politique et qui serait absolument nécessaire pour aborder les défis actuels.
«J’ai su beaucoup mieux écouter, alors que j’ai toujours tendance à interrompre.» (Déclaration lors de la séance de feed-back)
Avec ce format, comme avec d’autres formats de dialogue, nous n’atteindrons pas les personnes qui sont fondamentalement opposées à la discussion avec des personnes qui pensent différemment, ni celles qui défendent des positions extrêmes. De telles personnes n’entameront pas volontairement un entretien constructif avec des personnes qui pensent différemment.
«Merci encore pour cette journée de dialogue! Ça a déclenché pas mal de choses en moi. Maintenant, j’espère pouvoir changer d’attitude.» (Feed-back par e-mail d’une participante)
Après ces débuts encourageants, nous sommes heureux de poursuivre le développement du format. Dans le cadre de ces premières journées, nous avons déjà été contactés par quelques institutions en vue de partenariats potentiels. Partout où nous organisons collectivement notre cohabitation, il est important que nous puissions créer un cadre sûr pour gérer nos différences. Le format peut être mis en œuvre dans les configurations les plus diverses, au sein d’entreprises, d’autorités ou d’institutions de formation qui souhaitent promouvoir une culture constructive du conflit dans leur environnement et une forte cohésion au sein de la société. Vous souhaitez en savoir plus? N’hésitez pas à vous adresser à info@profuturis.ch.
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